3 questions à Henri jules Julien

Hervé Laurent — La traduction de Celle qui habitait la maison avant moi est votre deuxième contribution à L’Ours Blanc. A chaque fois le texte traduit a un lien avec un projet théâtral. La première fois, il s’agissait de votre mise en scène de Testimony de Charles Reznikoff. Vous aviez à cette occasion traduit de précieuses notes de l’auteur relatives à son travail de poète et notamment à l’objectivisme dont il fut un des inventeurs. Cette fois-ci vous avez mis en scène le recueil de Rasha Omran qui sera dit sur scène par l’auteur.e en arabe et en français par une comédienne. La traduction est-elle pour vous toujours conditionnée par un projet théâtral ?

Henri jules Julien — En fait il n’y a pas de lien mécanique entre mes travaux de traduction et mes spectacles. En l’espèce, j’avais mis sur scène quelques poèmes de Testimony et avais initialement traduit D’abord il y a la nécessité pour un usage interne à notre équipe, pour mieux entrer dans la poétique de Reznikoff. Dans un deuxième temps, lorsque Héros-Limite a publié une première traduction d’un recueil de Reznikoff, j’ai suggéré une édition de ses précieuses notes. Pour Rasha Omran, nous avons commencé à traduire Celle qui habitait la maison avant moi sans autre finalité que la traduction. Dans un second temps, hanté par ces poèmes, je me suis lancé dans un spectacle.

 H.L. — A part Omran, vous avez traduit de nombreuses poétesses, performeuses et écrivaines de langue arabe. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à elles, comment les avez-vous découvertes alors que, lorsque vous avez commencé à vous intéresser à elles, vous n’aviez que des rudiments d’arabe ?

H.j.J — Je lis beaucoup de poésie et, vivant depuis une dizaine d’années en Afrique du Nord, beaucoup de poésie arabe. Mes compétences en langue arabe étant fort limitées, les poèmes me parviennent la plupart du temps via des traductions anglaises ou américaines (les traductions vers la langue anglaise sont massivement plus nombreuses que vers le français). C’est ainsi qu’a débuté ma collaboration avec Mireille Mikhaïl, une amie égyptienne merveilleusement francophone : lorsqu’un poème me saisit, je lui propose de le traduire, à deux mains, dans une tentative de compréhension plus profonde (c’est un lieu commun de la traduction : on ne traduit pas parce qu’on a compris, on traduit pour comprendre). Le déclencheur est au fond toujours le même : je suis ébranlé par une voix poétique qu’il me semble n’avoir pas entendue jusque-là.

H.L. — Votre travail de traducteur est aussi un véritable travail de découvreur en ce sens que vous permettez à un public non arabophone de découvrir une poésie très mal connue jusqu’ici. Vos choix de traducteur sont-ils conditionnés par ceux de l’homme de théâtre ? Pour le dire autrement, recherchez-vous des formes poétiques plus marquées par l’oralité et des auteures familières des lectures performées ou mises en scène ?

 H.j.J — C’est vraiment la force intrinsèque des poèmes qui anime notre activité traductrice. Et s’il s’avère que nous avons essentiellement traduit des poétesses, ce n’est pas tant un choix délibéré que le hasard des lectures et la rencontre de poétiques opérantes sur moi. Mais au fil des années je suis entré en contact avec des poétesses qui développaient aussi une activité performative de leurs propres poèmes, avec des formes scéniques pensées, élaborées, pas de « simples » lectures. Avec certaines d’entre elles (Asmaa Azaizeh, Soukaina Habiballah) nous développons d’ailleurs un réseau arabe de poésie performée, et je travaille à une sorte de mini festival itinérant de performances de poésie arabe contemporaine par les poétesses elles-mêmes qui débutera durant l’été 2022.