extrait (traduit de l’anglais) de l’interview de l’auteure pour le site ArabLit.org. disponible sur https://arablit.org/2018/09/20/rasha-omran-now-death-for-me-is-no-longer-abstract/
Kim Eschlin — Pourquoi avez-vous choisi la poésie comme genre littéraire ?
Rasha Omran — Je n’en sais rien. Mon père, qui était poète, m’a toujours dit que je serai romancière. Il savait que j’avais une mémoire capable de retenir de nombreux détails même minuscules ou très éloignés dans le temps. Il est mort sans savoir que j’écrivais des poèmes. Je n’ai jamais essayé d’écrire de romans. Non que je sois opposée à cette idée mais, si loin que je remonte, je n’ai simplement jamais écrit de la fiction. Je pense que cela suppose une certaine endurance que j’admets ne pas avoir. Mes dialogues intérieurs sont toujours d’assez courte durée. Ils sont continuels, mais brefs. Je ne poursuis jamais un long dialogue avec moi-même. Toujours, je l’interromps pour passer à autre chose. Une telle tournure d’esprit n’est pas propice à l’écriture romanesque — du moins, c’est ce que je pense.
K.E. — Avant la guerre et votre exil, écriviez-vous sur les mêmes sujets ?
R.O. — Non, jamais. C’est la première fois que j’écris sur l’isolement et la solitude d’une femme. Avant j’écrivais sur la mort, mais d’un point de vue abstrait. Désormais la mort pour moi n’est plus abstraite. J’ai vu des jeunes tués sous mes yeux. Leur sang a taché mes vêtements. Ma mémoire retient l’odeur de leur sang. J’ai pu voir les gens de mon pays mourir à la télévision. La mort n’est plus abstraite. C’est un fait.
De plus, pour la première fois de ma vie, je vis seule. Je suis seule depuis sept ans maintenant. Totalement seule ! Avant cette période j’avais toujours vécu avec quelqu’un, ma famille ou ma fille. Et j’étais quotidiennement entourée d’amis. Tout au long de ces dernières années, j’ai été complètement et littéralement seule. C’est la première fois que je comprends la signification de vivre seule, des différentes peurs, de la façon dont les obsessions sont amplifiées et multipliées, des sensibilités plus intenses. Psychologiquement aussi je suis seule. Une femme, au début de la cinquantaine, se trouve dans une phase dangereuse. C’est une période de changements hormonaux qui peuvent modifier complètement son humeur. Pour moi, c’est une réelle opportunité d’écrire sur cette condition. En plus d’échecs successifs en amour, j’ai un sentiment croissant de la perte rapide de tout ce que j’aime et que j’adore. Pourrait-il y avoir un sujet plus tentant pour la poésie ?
K.E. — Les poèmes qui composent Celle qui habitait la maison avant moi s’attachent à la figure d’une femme seule et exilée qui vit dans un appartement où elle sent la présence d’une femme qui était là avant elle. Voyez-vous cela comme une poésie de l’exil ?
R.O. — Je ne sais vraiment pas si c’est de la poésie de l’exil. Je suis exilée de mon pays. Les autorités m’ont ordonné de quitter la Syrie. Mais je vis dans un pays, l’Égypte, qui ne m’est étranger ni dans la langue, ni dans la coutume, ni même dans l’humeur des gens. Le concept d’exil, je crois, s’accompagne généralement d’un sentiment d’aliénation. Je ne me sens pas aliénée en Égypte. Je ne me sens pas étrangère. Mais si j’avais été dans mon pays à cet âge, aurais-je écrit sur ma solitude ? Je n’en suis pas sûre. J’ai tendance à penser que non. Ce recueil pourrait donc être inclus dans la poésie de l’exil.