3 questions à Peter McCarey

Hervé Laurent —  C’est la première fois qu’une suite de tes poèmes est traduite en français. Tu l’as accompagnée d’un texte en prose dans lequel les poèmes et leurs traductions sont enchâssés. Quelle est la  fonction de  ce texte et pourquoi l’avoir écrit directement en français ?

Peter McCarey — Pour les francophones qui font l’effort de m’écouter, je cherche à expliquer ce que je pense faire en écrivant; mon français est assez bon pour cela, mais pas pour la composition poétique. L’avantage — inattendu pour moi — de l’exercice, c’est que j’ai pu regarder ma poésie de loin, et comprendre un peu mieux les pratiques que je veux défendre.

HL — Tu es poète, essayiste, performer, et parfois curateur. Ces différentes facettes de ton travail artistique et littéraire s’articulent-elles, et si oui, de quelle façon ?

PMC — La poésie est centrale. Les essais sont des confrontations avec des gens ou des idées qui me touchent ou me tracassent. Les performances sont rares; quand on m’invite j’accepte, parce qu’il est bien d’avoir un écho de temps à autre. Mais je ne voudrais pas faire ça souvent, parce que je serais peut-être amené à écrire des poèmes pour performance, c’est-à-dire plus immédiats, moins épais. Les activités d’édition et d’organisation d’événements sont là parce que j’aime travailler avec les autres; c’est l’aspect social de l’art qui manque dans la poésie.

HL —  Tes poèmes sont régulièrement publiés en livre. L’Ours Blanc en offre aujourd’hui  une sélection au lectrorat francophone. Mais beaucoup de tes poèmes sont accessibles également via thesyllabary.com, programme que tu as conçu pour des supports numériques. Y at-il pour toi complémentarité entre les modalités de lecture liées au support papier et  celles que permet le support électronique ? Ou, pour le dire plus brutalement, le passage que tu as effectué vers le numérique traduit-il de ta part une frustration à l’égard de la forme traditionnelle du livre ?

PMC — Depuis 25 ans désormais, 90% de ce que j’écris se trouve sur www.thesyllabary.com. Tout comme Hugh MacDiarmid, j’ai de grandes ambitions pour le « long poem ». J’en ai fait plusieurs, mais avec le dernier en date, Tantris, je me suis rendu compte que je n’acceptais plus la morale implicite dans un truc avec un début, un milieu et une fin. Je voulais faire un poème immense et structuré, mais qui laissait au lecteur le choix du moment où ça s’arrête. Or, il y a eu un changement d’époque avec le passage du rouleau au codex; on est dans un autre moment charnière avec la transition du codex au numérique. Mais les modalités de la lecture ne se remplacent pas – la nouvelle vient s’ajouter aux précédentes. Je ne suis donc nullement frustré par la forme traditionnelle du livre – et en effet, je suis en train de planifier des versions imprimées du Syllabary:  chaque lecteur, chaque lectrice devra choisir le texte par où il ou elle veut commencer, puis un algorithme produira la série requise, sur papier, sans répétitions ni omissions. Vois-tu,  puisque j’ai passé 25 ans à l’écrire, je voudrais qu’une trace de mon travail reste au moins pendant les 50 années à venir, et le seul moyen de garantir cela, pour le moment, c’est une version papier. Ou mieux, du vélin. Mais il faudrait se procurer un troupeau de brebis, et là…